domenica 17 ottobre 2010

Victor Hugo, L'Année terrible -XII


Terre et cieux ! si le mal régnait, si tout n'était
Qu'un dur labeur, suivi d'un infâme protêt,
Si le passé devait revenir, si l'eau noire,
Vomie, était rendue à l'homme pour la boire,
Si la nuit pouvait faire un affront à l'azur,
Si rien n'était fidèle et si rien n'était sûr,
Dieu devrait se cacher de honte, la nature
Ne serait qu'une lâche et lugubre imposture,
Les constellations resplendiraient en vain !
Que l'empyrée abrite un scélérat divin,
Que derrière le voile étoilé de l'abîme
Il se cache quelqu'un qui prémédite un crime,
Que l'homme donnant tout, ses jours, ses pleurs, son sang,
Soit l'auguste jouet d'un lâche Tout-Puissant,
Que l'avenir soit fait de méchanceté noire,
C'est ce que pour ma part je refuse de croire.

Non, ce ne serait pas la peine que les vents
Remuassent le flot orageux des vivants,
Que le matin sortît des mers, semant des pluies
De diamants aux fleurs vaguement éblouies,
Et que l'oiseau chantât, et que le monde fût,
Si le destin n'était qu'un chasseur à l'affût,
Si tout l'effort de l'homme enfantait la chimère,
Si l'ombre était sa fille et la cendre sa mère,
S'il ramait nuit et jour, voulant, saignant, créant,
Pour une épouvantable arrivée au néant !
Non, je ne consens pas à cette banqueroute.
Zéro somme de tout ! Rien au bout de la route !
Non, l'Infini n'est point capable de cela.
Quoi, pour berceau Charybde et pour tombeau Scylla ?
Non, Paris, grand lutteur, France, grande vedette,
En faisant ton devoir, tu fais à Dieu sa dette.
Debout ! combats !

Je sais que Dieu semble incertain
Vu par la claire-voie affreuse du destin.
Ce Dieu, je le redis, a souvent dans les âges
Subi le hochement de tête des vieux sages,
Je sais que l'Inconnu ne répond à l'appel
Ni du calcul morose et lourd, ni du scalpel ;
Soit. Mais j'ai foi. La foi, c'est la lumière haute.
Ma conscience en moi, c'est Dieu que j'ai pour hôte.
Je puis, par un faux cercle, avec un faux compas,
Le mettre hors du ciel ; mais hors de moi, non pas.
Il est mon gouvernail dans l'écume où je vogue.
Si j'écoute mon coeur, j'entends un dialogue.
Nous sommes deux au fond de mon esprit, lui, moi.
Il est mon seul espoir et mon unique effroi.
Si par hasard je rêve une faute que j'aime,
Un profond grondement s'élève dans moi-même ;
Je dis : Qui donc est là ? l'on me parle ? Pourquoi ?
Et mon âme en tremblant me dit: C'est Dieu. Tais-toi.

*

Quoi ! nier le progrès terrestre auquel adhère
Le vaste mouvement du monde solidaire ?
Non, non ! s'il arrivait que ce Dieu me trompât,
Et qu'il mit l'espérance en moi comme un appât
Pour m'attirer au piège, et me prendre, humble atome,
Entre le présent, songe, et l'avenir, fantôme ;
S'il n'avait d'autre but qu'une dérision ;
Moi l'oeil sincère et lui la fausse vision,
S'il me leurrait de quelque exécrable mirage ;
S'il offrait la boussole et donnait le naufrage ;
Si par ma conscience il faussait ma raison ;
Moi qui ne suis qu'un peu d'ombre sur l'horizon,
Moi, néant, je serais son accusateur sombre ;
Je prendrais à témoin les firmaments sans nombre,
J'aurais tout l'infini contre ce Dieu, je crois
Que les gouffres prendraient fait et cause pour moi ;
Contre ce malfaiteur j'attesterais les astres ;
Je lui rejetterais nos maux et nos désastres ;
J'aurais tout l'Océan pour m'en laver les mains ;
Il ferait mes erreurs, ayant fait mes chemins ;
Je serais l'innocent, il serait le coupable.
Cet être inaccessible, invisible, impalpable,
J'irais, je le verrais, et je le saisirais
Dans les cieux, comme on prend un loup dans les forêts,
Et terrible, indigné, calme, extraordinaire,
Je le dénoncerais à son propre tonnerre !

Oh ! si le mal devait demeurer seul debout,
Si le mensonge immense était le fond de tout,
Tout se révolterait ! Oh ! ce n'est plus un temple
Qu'aurait sous les yeux l'homme en ce ciel qu'il contemple,
Dans la création pleine d'un vil secret,
Ce n'est plus un pilier de gloire qu'on verrait ;
Ce serait un poteau de bagne et de misère.
A ce poteau serait adossé le faussaire,
A qui tout jetterait l'opprobre, et que d'en bas
Insulteraient nos deuils, nos haillons, nos grabats,
Notre faim, notre soif, nos vices et nos crimes ;
Vers lui se tourneraient nos bourreaux ses victimes,
Et la guerre et la haine, et les yeux du savoir
Crevés, et le moignon sanglant du désespoir ;
Des champs, des bois, des monts, des fleurs empoisonnées,
Du chaos furieux et fou des destinées,
De tout ce qui parait, disparaît, reparaît,
Une accusation lugubre sortirait ;
Le réel suinterait par d'affreuses fêlures ;
Les comètes viendraient tordre leurs chevelures ;
L'air dirait : Il me livre aux souffles pluvieux !
Le ver dirait à l'astre : Il est ton envieux,
Et, pour t'humilier, il nous fait tous deux luire !
L'écueil dirait : C'est lui qui m'ordonne de nuire !
La mer dirait : Mon fiel, c'est lui. J'en fais l'aveu !
Et l'univers serait le pilori de Dieu !

*

Ah ! la réalité, c'est un paiement sublime,
Je suis le créancier tranquille de l'abîme ;
Mon oeil ouvert d'avance attend les grands réveils.
Non, je ne doute pas du gouffre des soleils !
Moi croire vide l'ombre où je vois l'astre éclore !
Quoi, le grand azur noir, quoi, le puits de l'aurore
Serait sans loyauté, promettrait sans tenir !
Non, d'où sort le matin sortira l'avenir.
La nature s'engage envers la destinée ;
L'aube est une parole éternelle donnée.
Les ténèbres là-haut éclipsent les rayons ;
C'est dans la nuit qu'errants et pensifs, nous croyons ;
Le ciel est trouble, obscur, mystérieux ; qu'importe !
Rien de juste ne frappe en vain à cette porte.
La plainte est un vain cri, le mal est un mot creux ;
J'ai rempli mon devoir, c'est bien, je souffre heureux,
Car toute la justice est en moi, grain de sable.
Quand on fait ce qu'on peut on rend Dieu responsable,
Et je vais devant moi, sachant que rien ne ment,
Sûr de l'honnêteté du profond firmament !
Et je crie : Espérez ! à quiconque aime et pense ;
Et j'affirme que l'Etre inconnu qui dépense,
Sans compter, les splendeurs, les fleurs, les univers,
Et, comme s'il vidait des sacs toujours ouverts,
Les astres, les saisons, les vents, et qui prodigue
Aux monts perçant la nue, aux mers rongeant la digue,
Sans relâche, l'azur, l'éclair, le jour, le ciel ;
Que celui qui répand un flot torrentiel
De lumière, de vie et d'amour dans l'espace,
J'affirme que celui qui ne meurt ni ne passe,
Qui fit le monde, un livre où le prêtre a mal lu,
Qui donne la beauté pour forme à l'absolu,
Réel malgré le doute et vrai malgré la fable,
L'éternel, l'infini, Dieu, n'est pas insolvable !

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