giovedì 26 aprile 2012

Degas, deux filles Le Point - Dominique Bona ressuscite les soeurs Lerolle, muses de l'impressionnisme


À gauche : autoportrait photographique de Degas (vers 1895) avec les soeurs Lerolle. À droite : "Yvonne et Christine Lerolle au piano" de Renoir (huile sur toile 73 x 92 cm, vers 1898). © Met. New York - Lessing/AKG-Images

Deux jeunes filles vêtues de blanc. L'une, appuyée sur un bronze de Rodin, semble songeuse. Elle s'appelle Yvonne Lerolle. Assise dans un fauteuil, sa soeur cadette, Christine, s'essaie à la gravité. Au premier plan, de profil, l'homme qui prend la photo avec une poire dissimulée dans sa main, c'est Edgar Degas, un familier de la famille Lerolle.
Nous sommes à la fin du XIXe siècle. En 1897, Renoir va, lui, peindre Yvonne et Christine Lerolle, au piano cette fois. Derrière elles, en un clin d'oeil ironique, il reproduit deux tableaux de Degas. Deux génies pour deux jeunes filles dont le nom n'évoque sans doute rien au public d'aujourd'hui, curieux, non ? En allant creuser derrière ces images, Dominique Bona a mis au jour un moment éblouissant des arts français. "Une Atlantide", dit-elle.
Le monde dans lequel grandissent les soeurs Lerolle est sans équivalent de nos jours. Grande bourgeoisie catholique libérale qui cultive les arts et l'amitié avec ferveur, hôtel particulier dans un 7e encore provincial. Le père, Henry Lerolle (1848-1929), est un rentier fortuné et un peintre à succès. Il joue aussi du violon et a épousé une musicienne accomplie. La vie est douce au 20, avenue Duquesne. On reçoit beaucoup, mais sans façon, la famille, bien sûr, et les amis. Ils ont nom Ernest Chausson (un beau-frère), Claude Debussy, Vincent d'Indy ou Albéniz. Il y a aussi des écrivains, Valéry, Claudel, qui vient parfois avec sa soeur Camille, Mallarmé, Pierre Louÿs, Henri de Régnier, Francis Jammes. Et des peintres, naturellement, Maurice Denis, Degas, Renoir, qui ne se lassent pas d'immortaliser cette famille délicieuse. Car les goûts d'Henry Lerolle, peintre officiel pourtant, le portent vers la modernité de l'époque.
Dans ce cocon, nos jeunes filles en fleur s'épanouissent, comblées et surprotégées. Elles ignorent tout de la vie "scandaleuse" de certains amis de papa. Les maîtresses sont cachées, les aléas de la bohème aussi. La grande affaire, ce sera bientôt le mariage. Évincé Debussy, captivé par Yvonne, sa Mélisande, avec qui il joue du piano. C'est alors qu'intervient Edgar Degas. Il est sarcastique, drôle, irrésistible. Henry Lerolle, qui collectionne ses oeuvres, y compris les nus (voir encadré), l'adore. De-gaz, comme il exigeait que l'on dît, se plaît dans cette famille. Il se plaît aussi, peut-être même plus, dans un autre clan, celui d'Henri Rouart, qui compte quatre garçons. Une mine ! Le démon de l'hyménée s'empare de Degas, ce célibataire endurci : il va se faire entremetteur, "marieur".
Mmes Rouart
"La famille Rouart est l'exact pendant des Lerolle", écrit Dominique Bona. Mais en plus riche et en plus tumultueux. Henri, le père, est un personnage flamboyant. Polytechnicien, industriel, inventeur, il est aussi peintre, très lié au groupe impressionniste. Quant à sa collection, elle est étourdissante : des chefs-d'oeuvre par centaines. Degas était son condisciple au lycée Louis-le-Grand et il le met au plus haut. Pourquoi s'opposerait-il à la fièvre matrimoniale d'Edgar ? Celui-ci va concocter trois mariages en deux ans pour ses fils. Eugène épouse Yvonne Lerolle en décembre 1898. En mai 1900, Ernest, un peintre qui fut l'unique élève de Degas, épouse Julie Manet, une grande amie des soeurs, la fille de Berthe Morisot (1). Louis épouse Christine Lerolle en février 1901.
Si le mariage de Julie et d'Ernest fut heureux, ceux des soeurs Lerolle tournèrent à la catastrophe. Fin des temps radieux, nos jeunes filles ont épousé deux "énergumènes" au "caractère barbelé". Tout les oppose, à commencer par l'affaire Dreyfus : côté Lerolle, on est dreyfusard, et côté Rouart, antidreyfusard, comme le sont Degas, Renoir, Forain, Maurice Denis, Debussy. Ce qui n'empêche pas Lerolle de continuer à les voir : chez lui, "l'art est plus fort que la politique".
Le malheur rôde. Eugène, l'ami de Gide, est homosexuel et Yvonne, exilée en Haute-Garonne, en souffre. Que sait-elle ? Son agronome de mari multiplie les investissements hasardeux, mais devient un notable local, un sénateur qui, à l'occasion, bat sa femme. Leur ruine sera totale et Yvonne se suicidera. Christine, elle, aura la chance de rester à Paris. Mais son Louis (le grand-père de l'écrivain Jean-Marie Rouart) est un polémiste au tempérament volcanique, un homme à femmes qui la trompe. Mésentente. Ils finiront par faire appartement - puis tombe - à part.
Ce monde disparu, Dominique Bona le fait revivre avec sa grâce habituelle. Elle a l'érudition légère et un sens de l'intime qui touche. On n'oubliera pas ses "muses de l'impressionnisme" à qui tout fut donné, puis enlevé.

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