Cahier pour le jour de Noël et pour le jour des Rois de la 11e
série.
Ô
mon Dieu si on voyait seulement le commencement de votre règne. Si on voyait
seulement se lever le soleil de votre règne. Mais rien, jamais rien. Vous nous
avez envoyé votre Fils, que vous aimiez tant, votre fils est venu, qui a tant
souffert, et il est mort, et rien, jamais rien. Si on voyait poindre seulement
le jour de votre règne. Et vous avez envoyé vos saints, vous les avez appelés
chacun par leur nom, vos autres fils les saints, et vos filles les saintes, et
vos saints sont venus, et vos saintes sont venues, et rien, jamais rien. Des
années ont passé, tant d’années que je n’en sais pas le nombre ; des
siècles d’années ont passé ; quatorze siècles de chrétienté, hélas, depuis
la naissance, et la mort, et la prédication. Et rien, rien, jamais rien. Et ce
qui règne sur la face de la terre, rien, rien, ce n’est rien que la perdition.
Quatorze siècles (furent-ils de chrétienté), quatorze siècles depuis le rachat
de nos âmes. Et rien, jamais rien, le règne de la terre n’est rien que le règne
de la perdition, le royaume de la terre n’est rien que le royaume de la
perdition. Vous nous avez envoyé votre fils et les autres saints. Et rien ne
coule sur la face de la terre, qu’un flot d’ingratitude et de perdition. Mon
Dieu, mon Dieu, faudra-t-il que votre Fils soit mort en vain. Il serait
venu ; et cela ne servirait de rien. C’est pire que jamais. Seulement si
on voyait seulement se lever le soleil de votre justice. Mais on dirait, mon Dieu,
mon Dieu, pardonnez-moi, on dirait que votre règne s’en va. Jamais on n’a tant
blasphémé votre nom. Jamais on n’a tant méprisé votre volonté. Jamais on n’a
tant désobéi. Jamais notre pain ne nous a tant manqué ; et s’il ne
manquait qu’à nous, mon Dieu, s’il ne manquait qu’à nous ; et s’il n’y
avait que le pain du corps qui nous manquait, le pain de maïs, le pain de
seigle et de blé ; mais un autre pain nous manque ; le pain de la
nourriture de nos âmes ; et nous sommes affamés d’une autre faim ; de
la seule faim qui laisse dans le ventre un creux impérissable. Un autre pain
nous manque. Et au lieu que ce soit le règne de votre charité, le seul règne
qui règne sur la face de la terre, de votre terre, de la terre de votre
création, au lieu que ce soit le règne du royaume de votre charité, le seul
règne qui règne, c’est le règne du royaume impérissable du péché. Encore si
l’on voyait le commencement de vos saints, si l’on voyait poindre le
commencement du règne de vos saints. Mais qu’est-ce qu’on a fait, mon Dieu, qu’est-ce
qu’on a fait de votre créature, qu’est-ce qu’on a fait de votre création ?
Jamais il n’a été fait tant d’offenses ; et jamais tant d’offenses ne sont
mortes impardonnées. Jamais le chrétien n’a fait tant d’offense au chrétien, et
jamais à vous, mon Dieu, jamais l’homme ne vous a fait tant d’offense. Et
jamais tant d’offense n’est morte impardonnée. Sera-t-il dit que vous nous
aurez envoyé en vain votre fils, et que votre fils aura souffert en vain, et
qu’il sera mort. Et faudra-t-il que ce soit en vain qu’il se sacrifie et que
nous le sacrifions tous les jours. Sera-ce en vain qu’une croix a été dressée
un jour et que nous autres nous la redressons tous les jours. Qu’est-ce qu’on a
fait du peuple chrétien, mon Dieu, de votre peuple. Et ce ne sont plus
seulement les tentations qui nous assiègent, mais ce sont les tentations qui
triomphent ; et ce sont les tentations qui règnent ; et c’est le
règne de la tentation ; et le règne des royaumes de la terre est tombé
tout entier au règne du royaume de la tentation ; et les mauvais
succombent à la tentation du mal, de faire du mal ; de faire du mal aux
autres ; et pardonnez-moi, mon Dieu, de vous faire du mal à vous ;
mais les bons, ceux qui étaient bons, succombent à une tentation infiniment
pire : à la tentation de croire qu’ils sont abandonnés de vous. Au nom du
Père, et du Fils, et du Saint-Esprit, mon Dieu délivrez-nous du mal,
délivrez-nous du mal. S’il n’y a pas eu encore assez de saintes et assez de
saints, envoyez-nous en d’autres, envoyez-nous en autant qu’il en faudra ;
envoyez-nous en tant que l’ennemi se lasse. Nous les suivrons, mon Dieu. Nous
ferons tout ce que vous voudrez. Nous ferons tout ce qu’ils voudront. Nous
ferons tout ce qu’ils nous diront de votre part. Nous sommes vos fidèles,
envoyez-nous vos saints ; nous sommes vos brebis, envoyez-nous vos
bergers ; nous sommes le troupeau, envoyez-nous les pasteurs. Nous sommes
des bons chrétiens, vous savez que nous sommes des bons chrétiens. Alors
comment que ça se fait que tant de bons chrétiens ne fassent pas une bonne
chrétienté. Il faut qu’il y ait quelque chose qui ne marche pas.
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