Fragments de
Les mains sales
de Jean-Paul Sartre
Hugo: (...) Pour une fois, tu as raison, mon grand camarade: l'appetit je ne sais pas ce que c'est. Si tu avais vu les phosphatines de mon enfance, j'en laissais la moitié: quel gaspillage! Alors on m'ouvrait la bouche, on me disait: une cuillerée pour papa, une cuillerée pour maman, une cuillerée pour la tante Anna. Et on m'enfonçait la cuiller jusqu'au fond de la gorge. (...) J'ai quitté la maison. Je suis entré dans le Parti et c'était pour entendre la même chanson: "Tu n'a jamais eu faim, Hugo, de quoi tu te mêles? Eh bien, non, je n'ai jamais eu faim".
HOEDERER: (...) Quel prix doit-il payer pour que vous lui pardonniez?
SLICK: Je n'ai rien à lui pardonner
(...)
GEORGES: On ne le lui reproche pas. Suelement il y a un monde entre nous: lui, c'est un amateur, il y est entré (au Parti) parce qu'il trouvait ça bien, pour faire un geste. Nous, on ne pouvait pas faire autrement.
HOEDERER: Et lui, tu crois qu'il pouvait faire autrement? La faim des autres, ça n'est pas non plus très facile à supporter.
(....)
HUGO: Je suis dans le Parti pour m'oublier
HOEDERER: et tu te rappelles à chaque minute que tu t'oublies.
(...)
HUGO: Je suis entré au Parti parce que sa cause est juste et j'en sortirai quand elle cessera de l'être. Quant aux hommes, ce n'est pas ce qu'ils sont qui m'intéresse mais ce qu'ils pourront devenir.
HOEDERER: Et moi, je les aime pour ce qu'ils sont. Avec toutes leurs saloperies et tous leurs vices. J'aime (...) la lutte désespérée qu'ils mènent chacun à son tour contre la mort et contre l'angoisse. Pour moi, ça compte un homme de plus ou de moins dans le monde. (...) Toi, les hommes tu les détestes parce que tu te détestes toi-même. Ta pureté ressemble à la mort et la Révolution dont tu rêves n'est pas la nôtre: tu ne veux pas changer le monde, tu veux le faire sauter.
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