31 juillet 68
Vous défendez extrêmement mal une cause juste, c'est-à-dire une transformation de cette société injuste : vous usez de petits moyens, sinon de moyens bas, et qui vous disqualifient ; et en définitive vous usez des pires moyens de cette société très policée que vous dites combattre : le mensonge, la fausse nouvelle, l'insulte grasse, l'intoxication, le mépris de la liberté des autres.
Certains d'entrevous, et les plus méprisants, ne sont-ils pas des cadets en rupture de ban de la bonne et opulente bourgeoisie ? Il suffit de vous écouter répondre à des ouvriers et à de modestes employés. Ah, cette morgue ! Vous dressez contre vous des gens de la plus humble condition, cheminots, machinistes, employés, petits marchands, ouvriers de toutes catégories, et il faut les retenir de vous chasser. Vous dites : « Le théâtre dans la rue ! », ce qui est un mot d'amateur, de provocateur ou tout simplement d'ignorant.
Et que n'allez vous, à l'heure de l'entrée, dans les fabriques ou les usines de la périphérie ou de la région ! Mais à cette heure, à huit heures, vous ronflez. Vous êtes des fainéants. Qu'y a-t-il de commun entre le travail et vous ? Des mots, et « parole ne paye pas farine ».
Des mots que la révolte de Mai vous a appris et que vous ne faites que répéter comme esprits demeurés. Vous n'êtes que des hurleurs, des tapageurs de la nuit, des fils de famille qui allez chercher le mandat paternel et hebdomadaire au bureau de poste de la rue de la République. […]
Depuis douze soirs, vous avez chaque soir perdu la bataille tout en accomplissant une mauvaise action : tenter de dresser des Avignonnais les uns contre les autres. Car il y en a qui souhaitent, exaspérés, vous voir ou en tôle ou loin d'ici, et d'autres, dont je suis, qui acceptent mal, et accepteront toujours mal, les réactions policières. Cependant, je vous le dis et je vous le répète, et ceci comme au premier jour : jugeant votre action néfaste sur un plan de politique générale (et j'ajoute révolutionnaire), je maintiendrai, à ma place, ces manifestations, ce festival, fait et construit peu à peu au cours des ans, pour les Avignonnais, pour Avignon, pour ceux de la périphérie, du département, de la région (près de 50% d'occupation des places).
Pour terminer, depuis quinze jours que nous dialoguons avec vous, que nous vous écoutons, que je vous écoute, j'ignore toujours quelle est votre doctrine politique et, -si cela est trop ardu pour vos petites têtes de fils de bourgeois - j'ignore toujours quel but à court terme vous souhaitez atteindre.
Je n'entends que hurlements, raisonnements, pour les neuf dixièmes, de piètres élèves de classe de philo, de révoltes de boudoirs, de masturbation intellectuelle, de réclamations irréalistes.
Et quel but enfin voulez-vous atteindre en manifestant ici ? La suppression des représentations théâtrales ? But dérisoire au regard d'un Che Guevara, d'un Mao, d'un Lenine, d'un Trotsky. Relisez-les donc, vous qui n'êtes pas nos camarades, et retournez dans vos salons.
Vous êtes des êtres vains et dangereux parce que vous jouez à l'émeute et qu'on ne joue pas avec cela.[…]
Ce qui surprend aussi, c'est que vous pensiez que les choses puissent se limiter aux violences verbales et vous paraissez surpris quand un homme exaspéré par dix jours d'injures, d'intox, de fausses nouvelles, de mensonges à son égard, d'insultes personnelles, menace de vous casser la figure. Pour vous, les mots n'auraient-ils aucune valeur ? Je reconnais bien là des intellectuels fils de famille.
Jean Vilar
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