Paris, musée Eugène Delacroix, du 7 décembre 2011 au 19 mars 2012.
- 1. Henri Fantin-Latour (1836-1904)
Hommage à Delacroix, 1864
Huile sur toile - 160 x 250 cm
Paris, Musée d’Orsay
Photo : RMN/Hervé Lewandowski
Il est toujours fascinant d’entrer dans le processus créateur d’une œuvre. Le délicieux petit musée Eugène Delacroix présente, conçue par son directeur, Christophe Leribault, commissaire de la manifestation, une très intéressante exposition-dossier autour de l’Hommage à Delacroix (ill. 1) rassemblant, à côté de l’huile sur toile de 1864, études au crayon ou au fusain, esquisses à l’huile ou au crayon graphite et à la plume, en tout seize travaux préparatoires qui constituent ce qu’il convient d’appeler « la fabrique de l’Hommage ». Celle-ci, réservée à la salle qui fut l’atelier de Delacroix [1], est au cœur d’une enquête qui présente autour des relations des « modernes » avec Delacroix, la « Société des Trois » (Fantin-Latour, Whistler et Alphonse Legros, tous trois présents sur l’Hommage), puis l’importance de Manet dans cet hommage, avant de s’achever par « D’un hommage l’autre » qui s’attache à deux œuvres : L’Immortalité de Fantin-Latour et le Monument à Eugène Delacroix de Jules Dalou. Exposition riche et passionnante de génétique picturale : autour d’une figure, d’un sujet, tout ce qui peut être dit et montré [2], l’est.
- 2. Frédéric Bazille (1841-1870)
L’Atelier de la rue de Fürstenberg, 1865-1866
Huile sur toile - 80 x 65 cm
Montpellier, musée Fabre
Photo : Musée Fabre/Frédéric Jaulmes
Cet Hommage a une origine extra-picturale : revenant de l’enterrement de Delacroix en cette journée d’été du 17 août 1863, Baudelaire, Manet et Fantin-Latour sont choqués par la tiédeur dont font preuve les autorités à l’égard du grand peintre de la génération romantique. Certes, ce dernier avait expressément demandé que tout fut simple et sans ornement [3]. Mais était-ce raison pour rendre un hommage officiel a minima – qui plus est accompagné d’un discours de Jouffroy au nom de l’Académie – plus que tendancieusement distant à l’égard du défunt ? Les trois amis décident donc de répliquer par un acte fort qui « manifesterait au cœur du Salon la reconnaissance de la voie illustre ouverte par Delacroix à un art exigeant et authentique » [4] Baudelaire soumet l’idée d’un tableau où son ami Delacroix – « celui que j’ai tant aimé, celui qui a daigné m’aimer et qui m’a tant appris » ainsi qu’il devait le dire lors d’une conférence prononcée à Bruxelles le 2 mai 1864 [5] – figurerait entouré des artistes, peintres, écrivains et musiciens qui l’avaient inspiré. Fantin-Latour a conservé cette liste écrite de la main de Baudelaire, lui adjoignant en marge « De Baudelaire / pour mon tableau / A Delacroix ». Les noms qu’avait rapidement jetés sur le papier Baudelaire étaient ceux de Raphaël, Michel-Ange, Rubens, Véronèse, Rembrandt, Vélasquez, Goethe, Byron, Shakespeare, Arioste, Dante, Haydn, Beethoven, Mozart et Weber [6].
- 3. Henri Fantin-Latour (1836-1904)
Etude pour l’ "Hommage à Delacroix”, 11 septembre 1863
Crayon, graphite, plume et lavis - 21,1 x 28 cm
Paris, Musée d’Orsay
Photo : Daniel Couty
- 4. Henri Fantin-Latour (1836-1904)
Etude pour l’“Hommage à Delacroix”, 13 septembre 1863
Fusain - 37 x 47 cm
Paris, musée d’Orsay
Photo : Daniel Couty
- 5. Henri Fantin-Latour (1836-1904)
Esquisse pour l’“Hommage à Delacroix”
Huile sur toile - 25,5 x 26 cm
Paris, musée Eugène Delacroix
Photo : RMN/Harry Bréjat
- 6. Henri Fantin-Latour (1836-1904)
Etude pour l’"Hommage à Delacroix", 27 janvier 1864
Crayon graphite - 10 x 15,1 cm
Paris, musée d’Orsay
Photo : Daniel Couty
- 7. Henri Fantin-Latour (1836-1904)
Hommage à Delacroix, 27 janvier 1864
Crayon graphite et encre sur papier calque - 17,5 x 25 cm
Grenoble, musée de Grenoble
Photo : Daniel Couty
Fantin ne respecta pas ce programme et, dès le 11 septembre, crayonna une première esquisse : posé sur une colonne, le buste de Delacroix se voyait entouré de neuf personnages, Fantin s’attribuant lui-même le prestigieux rôle de couronner la glorieuse tête (ill. 3) ; outre Whistler et Legros (sur lesquels nous reviendrons), figuraient donc Manet, le peintre-graveur Félix Bracquemond, l’obscur mais officiel Florestan Myionnet, Guillaume Régamey et Louis Cordier, tous deux amis de formation de Fantin, assez oubliés aujourd’hui, et le critique et romancier Edmond Duranty, co-fondateur de la revue Le Réalisme. Curieusement, Baudelaire est absent de cette esquisse initiale. Qui se précise dès le 13 septembre avec une nouvelle « étude » (ill. 4) : le dessin est plus net, les figurants plus nombreux, Fantin y trouve sa tenue blanche de peintre et tient en mains palette et pinceau, la colonne a migré vers la droite et, désormais, c’est une figure féminine qui couronne le buste de Delacroix, conformément à une tradition bien établie [7]. Alors que Fantin multiplie les « études » (non précisément datées), une nouvelle version du 2 octobre confirme les tâtonnements intermédiaires : Fantin est définitivement le seul en blanc au milieu d’hommes en frac noir et c’est désormais non plus une femme mais une Gloire ailée qui couronne Delacroix. Et le processus créatif se poursuit : la femme éplorée assise au pied de la colonne disparaît, la Gloire embouche une trompette de la Renommée sur une Esquisse à l’huile (coll. privée) dans un décor d’extérieur avant qu’un nouveau retournement ne la voit, vêtue d’un rouge flamboyant, couronner le buste, Fantin trouvant dans l’angle du tableau, en bas à droite, sinon la place qu’il occupera dans la version définitive, du moins sa découpe à mi-corps. C’est encore une huile sur toile, entrée récemment dans les collections du musée, qui propose une nouvelle version : un fût centralement disposé supporte le buste de Delacroix, plus de femme ni réelle ni allégorique, mais cinq hommes en frac noir dont l’un, sur la gauche tient une couronne dorée à la main, et Fantin, assis en bas à droite, chemise blanche se détachant parmi ces habits sombres, la palette à la main (ill. 5). Ce n’est qu’en janvier 1854, le temps pressant pour être prêt pour le Salon, que Fantin trouve enfin la formule de sa toile : au lieu d’un buste de marbre posé sur une colonne, il introduit, déporté sur la gauche, un portrait encadré du Maître [8] (d’abord porté par une Gloire ailée) qu’il déplace, sur l’Etude du 27 janvier au centre du mur, au-dessus d’une cheminée sur le rebord de laquelle est posé un bouquet de fleurs (ill. 6). Si le placement et le nombre des figurants n’est pas encore définitif, il le devient sur le splendide crayon graphite et encre (ill. 7) de la fin janvier qui précède la réalisation, entre février et mars, de la grande toile présentée au Salon en avril 1864.
- 8. Edouard Manet (1832-1883)
La Barque de Dante, d’après Delacroix, vers 1855-1858
Huile sur toile - 38 x 46 cm
Lyon, musée des Beaux-Arts
Photo : RMN/D.R.
- 9. Albert de Balleroy (1828-1872)
Combat de chevaux, 1866
Huile sur toile - 121 x 97 cm
Bayeux, musée Baron-Gérard
Photo : Bayeux, musée Baron-Gérard
On le voit, l’œuvre bien que réalisée dans la fièvre du dépit, a donné lieu à nombre de bouleversements. Et l’on continue de s’interroger sur la signification de ce rassemblement où, hormis Baudelaire, bien peu furent amis de Delacroix et dont nul ne fut son disciple. Certes Manet, bien qu’il ne fut pas un admirateur éperdu de Delacroix, s’exerça, comme le montre sa version de La Barque de Dante (ill. 8) peinte entre 1855 et 1858, à en recopier les tonalités. Ce qui est clair c’est que cetHommage n’est guère allégorique et n’a rien à voir avec le tableau de Courbet, L’Atelier du peintre(1855, musée d’Orsay) que l’artiste d’Ornans sous-titra « Allégorie réelle » et dont il commenta explicitement la signification. Et d’ailleurs, bien que figurent sur la toile de Fantin-Latour deux des initiateurs du « réalisme » littéraire, Jules Champfleury (assis au centre) et Edmond Duranty (au premier plan à l’extrême gauche), l’absence de Courbet pose un problème à qui veut lire la toile en termes de manifeste pictural. Car si Fantin fut un bref élève de l’atelier de Courbet, il prit, comme beaucoup, rapidement ses distances avec l’auteur d’Un enterrement à Ornans. Comme Baudelaire, Duranty et Champfleury. Alors, pourquoi ne pas simplement voir dans cet Hommage un simple mais très merveilleux tableau d’amitié ? Car, à y regarder de près les liens des uns et des autres, célèbres ou non, tiennent à des relations interpersonnelles qui se manifestent selon différentes modalités : le trio initial du 11 septembre 1863 – « 1Moi / 2 Legros / 3 Whistler » – renvoie aux années de formation de Fantin-Latour durant lesquelles fut fondée la « Société des Trois » [9], années de fraternité heureuse qui s’achevèrent par des séparations rugueuses… De même que la présence de Cordier que rien ne justifie (mais qui est déjà présent sur la feuille du 11 septembre), sinon un lien amical noué dans les années 1850 dans le même atelier de la Petite Ecole. Quant à Balleroy, peintre à qui sa fortune permettait de ne peindre qu’en dilettante, il fut l’ami de Fantin et de Bracquemond, et s’inspira de Delacroix pour ses marines et son Combat de chevaux (ill. 9). Ajoutons que les uns et les autres se portraiturèrent : Manet peignit Bracquemond, Balleroy et Legos firent chacun un Portrait d’Edouard Manet à l’huile, Bracquemond une eau-forte de Champfleury, etc. Ainsi que le résume lapidairement Stéphane Guégan, l’Hommage est à la fois « remémoration et autoproclamation. Tombeau et manifeste ». Car si l’on suit Guégan, « cette poussée d’une jeunesse hétérodoxe » allait « muer en cénacle “réaliste” » la toile de Fantin qui n’était, somme toute, qu’un « groupe formel et élastique » [10].
- 10. Henri Fantin-Latour (1836-1904)
Etude pour “La Vérité”, 16 janvier 1865
Crayon graphite, estompe, fusain - 29,9 x 37 cm
Paris, musée d’Orsay
Photo : Daniel Couty
- 11. Henri Fantin-Latour (1836-1904)
Etude pour “L’Anniversaire de Baudelaire”, 1871
Crayon graphite - 9,2 x 12,7 cm
Paris, musée d’Orsay
Photo : Daniel Couty
Exposé au Salon de 1864, la toile fut assez froidement accueillie. On trouva dans le tableau lui-même de quoi l’assassiner. Les différents acteurs (que Fantin avait fait poser en divers moments [11]) tournant le dos au portrait de Delacroix, on moqua cet hommage où l’on préférait se montrer et être vu qu’honorer le Maître. Et l’on critiqua le prétendu « réalisme » de Fantin qui semblait déserter les sentiers de Courbet. Pourtant, un élément aurait dû attirer l’attention des critiques : le choix d’avoir portraituré Delacroix d’après une photographie. Et réduire à néant leurs critiques : « L’autoportrait de Delacroix est un faux, mais un faux qui dit vrai. (…) Il est investi d’une supériorité par rapport à celle des autres portraits » par ce seul fait qu’il « substitue à la temporalité du sculptural [12] la fulgurance du photographique [13] ». Il est vrai qu’alors la photographie était réduite à une simple reproduction du réel et n’avait guère de défenseurs…
Mais l’aventure de l’Hommage ne s’arrête pas au tableau de 1864. En effet, Fantin-Latour critiquant lui-même son tableau [14] se décide à présenter une variante pour le Salon de 1865 : reprenant l’idée d’une réunion d’artistes qu’il place autour d’une Vérité nue et, initialement, sous le patronage de Vélasquez et de Rembrandt ainsi que l’indique une note en bas à droite de sa première « étude » (ill. 10), multipliant là encore les dessins préparatoires, il présente pour la manifestation son Toast ! Hommage à la Vérité où se retrouvent Manet, Bracquemond, Duranty, Whistler, Cordier et Fantin auxquels s’ajoutent le jeune critique Zacharie Astruc et les deux peintres Jean-Charles Cazin et Antoine Vollon. L’accueil est froid et, mécontent de lui, Fantin détruit sa toile dont ne subsistent que trois portraits (dont celui d’Antoine Vollon, présenté dans l’exposition). La même année 1865, Fantin entend mettre au point une allégorie consacrée à Eugène Delacroix reçu aux Champs-Elysées où, comme le montrent quelques dessins préparatoires, le grand romantique serait entouré de ses peintres préférés : Titien, Vélasquez, Rembrandt, Rubens et Véronèse. « C’était », comme le note C. Leribault dans un autre article du catalogue [15], « en partie revenir à l’idée initiale de Baudelaire, mais sans les écrivains et les poètes ». Or Baudelaire meurt le 2 septembre 1867 et Fantin fait parti de la mince assistance qui suivit le corbillard. A situation semblable, Fantin entend répondre semblablement qu’avec l’Hommage à Delacroix. Il commence par une esquisse sur laquelle un buste de l’auteur desFleurs du Mal posé sur une colonne, à la droite de l’esquisse, est couronné par un homme alors qu’un groupe occupe la moitié gauche. Puis sur les esquisses suivantes, la formule définitive de l’Hommageest reprise : au mur le portrait de Baudelaire que « je ferais d’après le portrait que j’en ai dans le Delacroix » écrit-il le 22 décembre 1871 ; autour une réunion d’écrivains amis rassemblée pour célébrer les cinquante ans qu’auraient eus le poète (ill. 11). C’est précisément les chamailleries de préséance de certains par rapport à d’autres qui firent capoter le projet. Que Fantin transforma, éliminant d’aucuns, pour proposer une nouvelle réunion de portraits dans Un coin de table (1872, Paris, musée d’Orsay) où celui de Baudelaire est peut-être suggéré par l’amorce d’un cadre au-dessus de la tête de Verlaine.
Mais l’aventure de l’Hommage ne s’arrête pas au tableau de 1864. En effet, Fantin-Latour critiquant lui-même son tableau [14] se décide à présenter une variante pour le Salon de 1865 : reprenant l’idée d’une réunion d’artistes qu’il place autour d’une Vérité nue et, initialement, sous le patronage de Vélasquez et de Rembrandt ainsi que l’indique une note en bas à droite de sa première « étude » (ill. 10), multipliant là encore les dessins préparatoires, il présente pour la manifestation son Toast ! Hommage à la Vérité où se retrouvent Manet, Bracquemond, Duranty, Whistler, Cordier et Fantin auxquels s’ajoutent le jeune critique Zacharie Astruc et les deux peintres Jean-Charles Cazin et Antoine Vollon. L’accueil est froid et, mécontent de lui, Fantin détruit sa toile dont ne subsistent que trois portraits (dont celui d’Antoine Vollon, présenté dans l’exposition). La même année 1865, Fantin entend mettre au point une allégorie consacrée à Eugène Delacroix reçu aux Champs-Elysées où, comme le montrent quelques dessins préparatoires, le grand romantique serait entouré de ses peintres préférés : Titien, Vélasquez, Rembrandt, Rubens et Véronèse. « C’était », comme le note C. Leribault dans un autre article du catalogue [15], « en partie revenir à l’idée initiale de Baudelaire, mais sans les écrivains et les poètes ». Or Baudelaire meurt le 2 septembre 1867 et Fantin fait parti de la mince assistance qui suivit le corbillard. A situation semblable, Fantin entend répondre semblablement qu’avec l’Hommage à Delacroix. Il commence par une esquisse sur laquelle un buste de l’auteur desFleurs du Mal posé sur une colonne, à la droite de l’esquisse, est couronné par un homme alors qu’un groupe occupe la moitié gauche. Puis sur les esquisses suivantes, la formule définitive de l’Hommageest reprise : au mur le portrait de Baudelaire que « je ferais d’après le portrait que j’en ai dans le Delacroix » écrit-il le 22 décembre 1871 ; autour une réunion d’écrivains amis rassemblée pour célébrer les cinquante ans qu’auraient eus le poète (ill. 11). C’est précisément les chamailleries de préséance de certains par rapport à d’autres qui firent capoter le projet. Que Fantin transforma, éliminant d’aucuns, pour proposer une nouvelle réunion de portraits dans Un coin de table (1872, Paris, musée d’Orsay) où celui de Baudelaire est peut-être suggéré par l’amorce d’un cadre au-dessus de la tête de Verlaine.
- 12. Jules Dalou (1838-1902)
Monument à Eugène Delacroix, 1890
Plâtre, esquisse au 1/6e d’exécution
Paris, Petit Palais.
Photo : Patrick Pierrain / Petit Palais / Roger-Viollet
- 13. Henri Fantin-Latour (1836-1904)
L’Immortalité, 1889
Huile sur toile - 116 X 87 cm
Cardiff, National Museum of Wales
Photo : National Museum of Wales
Mais la fidélité à Delacroix refit surface en deux grandes occasions : dans l’une Fantin-Latour contribua à l’érection d’un Monument à Delacroix par un don de souscripteur en juin 1884 auprès du Comité qui s’était formé pour choisir le sculpteur, le dessin de la statue et l’emplacement de celle-ci. Les trois sujets firent débat et Fantin prit part aux diverses réunions : le jardin du Luxembourg fut finalement retenu, Jules Dalou désigné sans passer par la voix d’un appel à concours et le sculpteur opta pour un buste juché sur un piédestal au pied duquel Apollon applaudit les deux figures allégoriques du Temps ailé soulevant une Gloire dénudée élevant une couronne de lauriers. Le mouvement très sensuel, comme enroulant le socle, s’apparente à la statuaire baroque et fait contraste avec l’austérité de la tête de Delacroix dont le col est enroulé d’un foulard qui drape le peintre de toute sa majestueuse dignité [16] (ill. 12). L’inauguration du monument eut lieu le 5 octobre 1890 en présence des autorités qui y allèrent de leurs discours habituels – n’est pas Malraux qui veut – auxquels Théodore de Banville crut bon de s’associer par un poème assez mièvre et trop long – n’est pas Baudelaire qui ne peut – qui fut lu par Mounet-Sully [17].
La seconde occasion, Fantin se l’offrit pour le Salon de 1889 en envoyant une grande toile,L’Immortalité (ill. 13) très inspirée de la lithographie Réveil (1886) qu’il avait consacrée à Richard Wagner dans un recueil collectif d’hommages d’artistes internationaux à l’occasion de la mort du compositeur : il retourne la figure de la Gloire ailée portant une palme dans une main et versant délicatement de l’autre une pluie de roses sur ce que l’on devine être le tombeau de Delacroix (dont le nom apparaît gravé en bas à gauche). Déployant ses ailes sur une nuée grise que domine un ciel que dore un timide soleil, avec Paris en arrière-fond sur la droite (on aperçoit le dôme du Panthéon), cet ultime hommage au grand artiste romantique n’avait plus rien de réaliste, mais s’apparentait par son mouvement et son sfumato au symbolisme.
La seconde occasion, Fantin se l’offrit pour le Salon de 1889 en envoyant une grande toile,L’Immortalité (ill. 13) très inspirée de la lithographie Réveil (1886) qu’il avait consacrée à Richard Wagner dans un recueil collectif d’hommages d’artistes internationaux à l’occasion de la mort du compositeur : il retourne la figure de la Gloire ailée portant une palme dans une main et versant délicatement de l’autre une pluie de roses sur ce que l’on devine être le tombeau de Delacroix (dont le nom apparaît gravé en bas à gauche). Déployant ses ailes sur une nuée grise que domine un ciel que dore un timide soleil, avec Paris en arrière-fond sur la droite (on aperçoit le dôme du Panthéon), cet ultime hommage au grand artiste romantique n’avait plus rien de réaliste, mais s’apparentait par son mouvement et son sfumato au symbolisme.
On ne saurait trop remercier Christophe Leribault de nous offrir cette exposition intelligente, au parcours parfaitement explicite grâce à des cartels lisibles et très bien documentés, qui, partant d’une toile « prétexte », en montre la genèse mais déborde l’Hommage pour constater l’influence qu’il eut dans la peinture de Fantin-Latour (sa prédilection pour les toiles de groupe) et même aborde la postérité de la toile. « Avec sa mise en abyme du tableau dans le tableau et la mise en perspective des générations, la formule offre une plus grande richesse que les simples portraits de groupe qui marquent seulement une solidarité forte » souligne judicieusement C. Leribault [18]. Et de convoquer, malheureusement seulement par la plume, L’Apothéose de Delacroix de Paul Cézanne (non datée, Paris, musée d’Orsay) et L’Hommage à Cézanne de Maurice Denis (1900, Paris, musée d’Orsay).
Sous la direction de Christophe Leribault, Fantin-Latour, Manet, Baudelaire : l’"Hommage à Delacroix", co-édition Louvre Editions/Le Passage, 2011, 168 p., 28 €. ISBN : 9782847421774.
Notes
[1] Et dont une toile de Frédéric Bazille, L’Atelier de la rue de Fürstenberg (ill. 2), « dérobée » en toute légalité par le jeune montpelliérain qui habitait alors au dernier étage de l’hôtel où avait vécu le peintre de La Liberté guidant le Peuple (où il ne s’installa d’ailleurs qu’à la fin de 1864, soit plus d’un après la mort de Delacroix).
[2] A l’exception notable, soulignée par Henri Loyrette dans sa « Préface » au catalogue, deL’Apothéose de Delacroix de Cézanne que le musée Granet d’Aix-en-Provence prête pour l’actuelle exposition du musée du Luxembourg.
[3] « Mon tombeau sera au cimetière du Père-Lachaise, dans un endroit un peu écarté, il n’y sera placé ni emblème, ni buste, ni statue ».
[4] Christophe Leribault, « La Fabrique de l’Hommage », p. 36 du catalogue.
[5] Voir le texte de « L’Exorde de la conférence » dans le tome II des Œuvres complètes de Baudelaire, Pléiade, p. 773-5. La conférence se poursuivait par la reprise d’une partie des articles qu’il avait consacrés à l’artiste au lendemain de sa mort dans le quotidien L’Opinion nationale les 2 septembre, 14 et 22 novembre 1863. Voir le texte intitulé « L’Œuvre et la vie d’Eugène Delacroix » dans le volume cité, pp. 742-772.
[6] Présentée dans l’exposition, cette feuille est aujourd’hui conservée par la Fondation Custodia à Paris.
[7] C. Leribault rappelle, entre autres, le Cherubini et la muse de la Poésie lyrique que peignit Ingres en 1843. Quant à la femme qui couronne la tête de Delacroix, il s’agirait – selon l’épouse de Fantin-Latour – d’Adèle D’Affry, duchesse de Castiglione Colonna, connue sous son nom de sculpteur de Marcello, et qui, lors des funérailles, avait placé une couronne sur le cercueil du Maître (voir dans le catalogue, p. 40).
[8] Les autoportraits de Delacroix étant rares – l’un est aux Offices, l’autre, dit « au gilet vert », dans le musée Eugène Delacroix – et Fantin n’en ayant aucun à sa disposition, il se résolut à peindre un autoportrait fictif qu’il réalisa d’après une photographie de Victor Laisné (1852) ou un papier albuminé de Carjat.
[9] Voir l’article de Marie-Pierre Salé dans le catalogue, « Fantin, Legros, Whistler : la Société des Trois », pp. 13-29.
[10] Voir dans le catalogue, Stéphane Guégan : « Captation d’héritage ? Retour sur un tableau noir », pp. 87-103.
[11] Dante Gabriel Rossetti que Whistler avait initialement proposé pour être de la partie n’y figure pas car il ne put venir à Paris pour poser en temps voulu.
[12] Référence, bien sûr, aux diverses esquisses où un buste de Delacroix est posé sur un fût.
[13] S. Guégan, art. cité, p. 94.
[14] « 23 mai 1864 au soir / Les ombres de mon tableau de salon de 1864 sont trop sombres pas les ombres des clairs / les habits noirs trop noirs pas assez de lumière (…) / les coups de brosse font des demi-teintes dans mes chairs, le fond est trop semblable de valeur aux habits noirs ».
[15] Voir Christophe Leribault, « D’un hommage l’autre », pp. 107-139.
[16] Voir dans le catalogue l’article d’Amélie Simier, « Vingt Ans après. Le Monument à Delacroix de Jules Dalou », pp. 143-157.
[17] Voir le poème dans le catalogue, pp.158-159.
[18] Voir « D’un hommage l’autre », art. cité, p. 139.
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