La Nouvelle Revue Française et l’ouverture du Vieux Colombier
C’est le 10 Janvier 1903 que Copeau reçoit la première lettre d’André Gide. Elle ouvre une amitié qui permettra la naissance tant de la Nouvelle Revue Française que du Théâtre du Vieux Colombier.
Quand L’Ermitage cessa de paraître en 1908 tous les écrivains qui trouvaient en cette revue le moyen pour arriver au public, fondèrent la Nouvelle Revue Français, poussés par une soif de renouvellement et conscients des besoins nouveaux. Dans ce group d’intellectuels, on trouve déjà une certaine idée d’une vie commune, idée qui accompagnera Copeau pour toute sa vie.
Après quelques incompréhensions à la sortie du premier numéro, le comité de direction choisit de faire table rase du passée et de recommencer en ne gardant à la direction que Copeau, Schlumberger et Ruyters.
Copeau sera directeur de la revue jusqu’au 1913, en cultivant cependant le rêve d’un théâtre à lui.
Sa formation universitaire et son début dans le monde de la critique sont très importants pour comprendre l’œuvre de Copeau, soit parce que il commence tout suite à tempêter contre la mauvaise foi des théâtres commerciaux soit parce que il s’agit d’une formation littéraire qui marquera son approche au travail en scène.
Dans sa jeunesse il a toujours été divisé entre la passion qui le liait au plateau et un véritable don pour l’écriture.
Il continue en fait son œuvre littéraire et en 1911 il écrit un drame d’après Les frères Karamazov de Dostoïevski, la première représentation de la quelle lui permettra en suite de connaître un des ses plus grands acteurs : Charles Dullin. Ce sont les amis de La Nouvelle Revue Française (André Gide, Paul Claudel, Paul Valéry, Charles Péguy, Marcel Proust etc..) qui l’encouragent à devenir homme de théâtre plutôt que romancier et qui l’ont incité à créer le Vieux- Colombier.
Pendant l’été 1913 donc, Copeau rassemble quelques jeunes acteurs et actrices à la campagne de Limon, et avec eux il répète le drame de Thomas Heywood, « Une femme tuée par la douceur » qui, avec « L’amour médecin » de Molière constituera le spectacle de l’ouverture du Vieux Colombier. « C’est Molière qui guidera les premiers pas de la jeune troupe, qui lui enseignera les règles du jeu. (…) Jacques Copeau fut le premier animateur du théâtre à comprendre que la moindre farce de Molière est dessinée comme un ballet, qu’elle est la formule la plus parfaite de théâtre et que pour la bien rendre et pour la bien servir, il faut fondre harmonieusement l’élément gymnique et l’élément verbal. »
Le théâtre ouvre les portes le 22 Octobre 1913 dans les locaux de l’Athénée Saint-Germain. Le répertoire comprend aussi, L’Echange de Claudel, Les Frères Karamazov et La nuit des rois de Shakespeare. Parmi les premiers acteurs il y avait Suzanne Bing, Charles Dullin, Louis Jouvet et Blanche Albane.
Dans « Les souvenirs du Vieux Colombier » il écrit : « Quand je me suis aventuré dans le théâtre, à l’age de trente-cinq ans, j’y apportais une connaissance de mon art toute littéraire et critique, un certain instinct, mais nulle expérience directe de la scène. D’Octobre 1913 à Juin 1914, j’ai fait sur le vif, incomplètement et brutalement, l’apprentissage di métier de comédien, de régisseur et de chef de troupe. »
En 1915 il rencontre Craig et Appia par l’intermédiaire de Jacques Dalcroze. Ces rencontres, comme celle avec Stanislavski d’ailleurs, lui donnent la conscience que «dans l’Europe entière, tous les artistes de théâtre se rencontrent sur un point: condamnation du décor réaliste et exaltation d’un décor schématique ou synthétique qui vise à les suggérer.»
Ce que traîne vers un renouvellement du théâtre en France, en Angleterre, en Suisse et en Russie est un manque de poésie théâtrale en faveur d’une représentation de type naturaliste. Avant Copeau, à Montmartre en 1887, Antoine imagine et réalise son nouveau théâtre, où l’acteur n’est plus un cabotin, où il est dépouillé des grands gestes déclamatoires de la Comédie Française pour se mettre au service de l’élément poétique du drame. En Angleterre Edward Gordon Craig rêve d’un théâtre qui révèle ce qui est visible en laissant entrevoir l’invisible ; il bannit donc le naturalisme de la scène. En Suisse Adolphe Appia crée un espace de jeu marqué par le rythme du texte. C’est l’acteur qui détermine toutes les propriétés de la mise en scène. C’est à partir de cette conception qu’il efface le décor plan pour créer des éléments architecturaux qui puissent ressembler le volume à trois dimensions du comédien avec l’espace autour de lui. Georg Fuchs en Allemagne envisage une union de tous les arts en fonction de l’acteur. En Russie Stanislavski avec son école sacrifie au jeu de l’acteur toutes les autres conventions scéniques.
Copeau s’insère dans cette vague théâtrale en cherchant d’effacer la dissociation de l’élément poétique et de l’élément dramatique.
Chez Copeau le décor, autant que le costume, la lumière, la musique, jouait son rôle et rien de plus. L’important a toujours été pour lui, le rythme d’ensemble, l’harmonie de tout le spectacle. Sa plus connue réussite dans cette direction, est sans doute, « La nuit de Rois» de Shakespeare. Un écrivain anglais de L’observer, écrit à propos de ce spectacle : « J’ai été stupéfait de découvrir que les acteurs français rendent mieux Shakespeare que ne le font d’habitude les nôtres. » Cette mise en scène est particulièrement importante car elle souligne l’attention que Copeau nourrit pour les classiques, même ceux étrangers ; et sa façon de les respecter. Au début de 1939, Copeau avec la collaboration de Suzanne Bing publie les traductions des « Tragédies » de Shakespeare. Dans la préface du premier volume il écrit : « Nous avons toujours eu en vue l’acteur sur la scène et la parole en mouvement. » Son rapport aux classiques est en fait celui là : le plus grand respect du texte tel qu’il est, et au même temps, la révélation de la mise en scène. Le texte reste le point de départ et de fin, et la mise en scène rend vivant l’action aux yeux du public. Il faut aussi rappeler que ce n’est qu’en 1904 qu’Antoine joua pour la première fois en France la version intégrale d’une pièce de Shakespeare. On peut bien imaginer donc, la grande surprise du public en face à la Nuit des rois.
Dans sa mise en scène Copeau opte pour une simplicité stylisée que sera celle du dispositif fixe de Jouvet quelques ans après.
Il s’inspire au théâtre élisabéthain en tant que dispositif architectural de la scène, crée pour laisser le plus de liberté d’action possible aux acteurs qui jouent le texte. Le spectacle est fondé en fait sur eux : les acteurs. Quand Copeau raconte de La nuit des rois, il dit que la pièce murait à chaque représentation, car elle se développait à l’intérieur de chacun des comédiens. Le décor devait donc rendre possible ce jeu, c’est ça la raison pour la quelle Copeau opte pour une solution scénique architectural plutôt que décorative.
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