venerdì 8 luglio 2011

Paul Claudel, le catholique qui embrasse ciel et terre


Une nouvelle édition de l'ensemble des pièces de l'auteur du Soulier de satin.

Pour prononcer, à propos de Claudel, la moindre parole juste, comme il nous faut, d'abord, respirer largement !» C'est ainsi que Francis Ponge commence sa «prose de profundis » à la gloire du poète défunt. Mais c'est avec ironie, car il ne tarde pas à brocarder les « exercices pneumatiques» auquel se livrait le «bon ambassadeur de la lourdeur française». Ponge se méfiait du «souffle lyrique». Et, de fait, une certaine poésie peut se sentir plus à sa place dans la petite horlogerie de précision. Mais cette poésie ne vaut guère pour les planches. Le comédien réclame une respiration ample dans l'espace ouvert. Or, cela, Claudel l'offre en surabondance. Preuve en est cette nouvelle édition en Pléiade, que rien ne nécessitait vraiment, sinon la force et la fraîcheur de ce théâtre toujours redécouvert. De Jean-Louis Barrault à Didier Sandre en passant par l'énorme Alain Cuny, d'Ingrid Bergman à Marina Hands en faisant halte auprès de l'élégante Ludmila Mikaël, ce sont les plus grands acteurs qui ont trouvé dans le texte claudélien de quoi dilater leur jeu et incarner leur verbe. Et les grands metteurs en scène, qu'ils soient d'ailleurs croyants ou athées (ne nommons que Vitez, Schiaretti, Py et le regretté Alain Ollivier), y ont puisé toutes ressources pour agrandir la scène aux dimensions de «l'univers visible et invisible».

Pieux fidèle et taureau sanguin 

Comment expliquer ce prodige? Par ce qu'il faut bien appeler un génie «catholique», pour peu qu'on ne dénature pas le catholicisme en un rencognement frileux sur la «banquette arrière», à regretter «le passé qui s'éloigne». Car, «catholique», Claudel le sait, veut dire «universel»: impossible de l'être si l'on se retranche de la moindre créature. Mais il sait aussi que cet universel ne s'obtient point par mixture ni uniformisation: il advient par intégration vive dans cette parole comme la lumière qui embrasse toutes choses et n'en accentue que mieux la diversité. Cet embrassement, comment aurait pu l'ignorer celui qui fut à la fois diplomate et poète, oblat et père de famille, propriétaire terrien et grand voyageur, bibliste et clown, pieux fidèle et taureau sanguin? À propos de sa pièce, L'Échange, il écrivait à Marcel Schwob: «En résumé, c'est moi-même qui suis tous les personnages, l'actrice, l'épouse délaissée, le jeune sauvage et le négociant calculateur.»
Ainsi la providence l'a situé au lieu de toutes les oppositions comme un ring et comme une arche. Non pas auteur dramatique et catholique, mais très grand auteur dramatique (le «Shakespeare français») parce que catholique pour de bon, le catholicisme élargissant les pouvoirs de la polyphonie et du drame. Claudel l'affirmait lui-même parmi ces colonnes, dans Le Figaro du 14 juillet 1914 : «La foi fait vivre tout homme moderne dans un milieu essentiellement dramatique. Objet pour le moindre de ses actes d'une critique impitoyable, tributaire au terme de ses jours de sanctions à la fois équitables et démesurées, le chrétien vit, comme dit saint Paul, “en spectacle aux hommes et aux anges”.» C'est ce spectacle, évoqué par son saint patron, que Claudel veut nous offrir sur un «plateau», en sorte que nous puissions nous reconnaître enfants du paradis - jusqu'au fin fond du poulailler. 
via le figaro 

 
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Comment avez-vous rencontré le théâtre de Paul Claudel?
Assez étrangement, à l'âge de quatorze ans, par le film de Manoel de Oliveira sur Le Soulier de satin, ce qui est une rencontre assez coudée, pas tout à fait directe. Néanmoins, ce que je découvris alors, ce fut le texte : j'ai aussitôt lu la pièce. Après quoi je n'ai plus cessé de lire Claudel. Quand je suis entré au conservatoire, c'était en 1988, l'année où Antoine Vitez montait Le Soulier de satin, justement, ce qui me fut comme une confirmation. Et puis j'ai monté cette œuvre énorme moi-même, vingt-cinq ans après l'avoir vue pour la première fois…
Quatorze ans, c'est précoce. Peut-on dire que Claudel est chez vous antérieur au théâtre et qu'il a déterminé votre vocation?
Probablement. Je rêvais à beaucoup de choses lorsque j'étais adolescent : le théâtre, le cinéma, la littérature… Mais il y avait aussi cette «tentation» très forte de la vocation religieuse. Or, je trouvais là, dans ce théâtre, une synthèse entre mes aspirations artistiques et spirituelles. J'étais d'ailleurs assez heureux de vivre à une époque où Claudel était un scandale. Au début des années 1980, le «Plus jamais Claudel» qu'on pouvait lire sur les murs de Mai 68 était encore très fort. Il a fallu Antoine Vitez pour l'arracher à cette censure. Vitez était communiste : il avait une sorte de caution qui lui permettait de le réhabiliter.
Qu'est-ce qu'un communiste pouvait trouver chez le très catholique Paul?
Je me souviens très bien, à l'enterrement de Vitez, on avait mis un enregistrement de sa voix, et pour la première fois - postmortem - il y disait : «Je suis catholique.» C'était au sens de katholikos : «universel». Cela résume complètement la pensée de Claudel : le catholique comme universel. Cette pensée m'a permis de passer du catholicisme à la catholicité…
Ces deux termes sont-ils opposés, ou la catholicité est-elle ce qui permet de saisir l'essence du catholicisme?
C'est surtout une entrée différente. On n'y accède plus par la morale, mais par la possibilité d'allier l'Évangile à une vision politique. Vitez l'a compris : il y a chez Claudel l'obsession politique d'abolir les frontières. Don Rodrigue, dans Le Soulier de satin, l'affirme clairement : «Je suis venu pour élargir la terre.»
Comme un autre Christophe Colomb, «rassembleur de mondes»… Mais Claudel songeait moins, me semble-t-il, aux frontières nationales qu'à la séparation entre la chair et l'esprit, le naturel et le surnaturel?
De fait, en découvrant Claudel, je découvrais aussi qu'il fallait proposer aux acteurs quelque chose de plus que de l'interprétation, qu'il fallait les mettre à l'endroit d'une expérience spirituelle. Le rêve de Claudel était «d'élargir la terre», mais, ce qu'il a élargi, c'est le théâtre. Il nous a sortis d'un espace trop intimiste ou trop idéologique pour dégager une scène aussi vaste que le monde. Sans Le Soulier de satin, je n'aurais pas écrit La Servante, cette pièce monstre qui essaie de ressaisir la temporalité de la ville. Il faut savoir que le théâtre de l'après-guerre est un théâtre qui doute de la parole : ce qui prévaut, c'est l'impossibilité de dire, le malentendu, l'incommunicabilité… Je ne pouvais pas vivre dans ce climat de rupture. Claudel me fut d'une aide considérable par sa foi en une parole qui ne se réduit pas à des problèmes de communication, mais qui embrasse, pour ainsi dire, le ciel et la terre. Enfin, il y a cette image dans Le Soulier de satin : la percée du canal de Panama, la réunion des deux mers. Ces deux mers sont celles de l'eros et de l'agapè. C'était pour moi une réponse : Claudel empêchait les fausses dichotomies, permettait de résoudre les dilemmes intérieurs, unissait le sensuel et le spirituel.
Quelle est la spécificité de la langue claudélienne pour l'acteur? C'est qu'il a dépassé l'alexandrin, sans pour autant tomber dans la prose. Son verset va plus loin que les autres. Il se déploie sur 24 ou 28 pieds comme une unité à la fois de souffle et de pensée. Pour l'acteur, c'est une respiration incroyable. Cela agrandit son intériorité. Cela creuse le ciel. Après cela, quand on revient vers Racine, on a l'impression qu'on joue court.
Théâtre de Paul Claudel, 2 volumes, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 1 776 p. et 1 904 p., prix de lancement jusqu'au 31-8-2011 : 65 € le volume, puis 72,50 €.

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